Les mammifères
La taupe
De la taupe on ne retient souvent que les « dégâts » qu’elle cause au jardin. Pourtant ce petit mammifère insectivore solitaire est plein de surprises…
Proche cousine de la musaraigne, c’est une acharnée de travail : dès le lever du jour, pendant 4h, du haut de ses 100 grammes, elle déboule dans toutes ses galeries à la recherche de nourriture. Elle se repose ensuite durant 3h, pour repartir de plus belle après un brin de toilettes.
Pratiquement aveugle, ses autres sens sont extraordinaires. Elle entend les vers de terre, leurs bruits étant amplifiés par échos dans ses galeries. Ses oreilles sont constituées de 2 petits trous mais pas besoin de plus. Son odorat est si développé, qu’elle sent un ver de terre à 6 cm, à travers 1 cm de terre.
Vers de terre, carabes, tipules, vers blancs de hannetons, limaces, chenilles, œufs de fourmis…. Tout est bon pourvu que la proie ait une légère odeur !
Même si son régime est constitué à 80% de vers de terre, la taupe se régale de nombreux « ennemis » du jardinier.
La taupe a plusieurs méthodes de chasse. La première, rapide et simple : elle se lance dans ses tunnels en ramassant tout ce qui traine. 2ème méthode : elle inspecte en spiral les parois de ses galeries afin d’extraire ensuite le moindre lombric. La 3ème méthode : elle creuse ! Mais il faut faire vite : à la moindre vibration les vers de terre remontent à la surface. Manège qui profite aux merles et grives.
Côté creusement et déblaiement, c’est une championne.
Elle creuse avec ses pattes avant munies de 5 griffes, une à la fois, la tête tournée de l'autre côté. Les pattes arrières s'écartent puis projettent la terre à 50 cm derrière. Une fois le tas de terre assez gros, elle culbute et se retourne. Là, patte avant positionnée en travers comme un bouclier, elle va repousser la terre (jusqu'à 10 fois son poids...).
Sachant que la surface du sol est à 10 cm voire 50 cm au-dessus, la taupe utilise plusieurs galeries d’évacuation verticales. Grâce à sa main-pelle, au-dessus de la tête, étalée à l'horizontal, elle repousse la terre, hors du tunnel formant ainsi les taupinières. Quel travail éreintant !
Sa petite queue, munie de poils hypersensibles frôle en permanence le plafond de ses galeries. Elle ne se sent rassurée que dans son univers : des lignes droites, des virages, des pentes douces ou raides, des culs de sacs, et elle le connait par cœur.
Mais comment respirer au fond de ces tunnels ? L’air y est pauvre en oxygène. Dame Nature a tout prévu : la taupe est dotée d’un appareil respiratoire hors norme, avec des poumons gigantesques. Son sang contient deux fois plus d’hémoglobine (qui fixe l’oxygène) que les autres animaux.
Une autre merveille au fond de ses galeries : l’aération. Les taupinières permettent de faire circuler un souffle d'air frais. La taupe creuse aussi des petites cheminées d'aération (non surmontées de taupinières). Ce système est efficace : du vent fort ou étouffant en surface, c’est toujours un courant d'air doux au fond des galeries.
Au milieu de son dédale de galeries, la taupe installe des coins latrines et son nid : un bijou de confort. Toujours au sec, il est constitué d'herbes et de feuilles récupérées en surface du bout de son museau.
Ce petit nid douillet est accessible par une entrée de galerie secrète ouverte et fermée à chaque passage. Durant 3 à 4 heures, elle dort et même très profondément (sa respiration ralentit, sa température baisse de plusieurs degrés).
Au bout d’un an, si dame Nature lui prête vie : la taupe refait un autre nid, car parasites et autres puces finissent par s’y installer.
Les taupes des zones marécageuses ont trouvé l’astuce d’entasser une énorme quantité de terre à la surface (jusqu’à 700 kg !!) dans lequel elles creusent plusieurs tunnels permettant de fuir en cas de danger.
Les galeries de la taupe servent de refuges à de nombreux animaux : insectes, voire même des crapauds.
Pour la taupe, l’été et l’hiver sont particulièrement redoutés.
L’été, pour la sécheresse : les lombrics descendent plus bas à la recherche d’humidité. Ce n’est pas trop grave : il y a des chances qu’ils traversent les galeries et au pire il est toujours possible creuser un peu plus profond. Mais si la sécheresse se poursuit : les lombrics entrent en estivation (sorte d'hibernation). La terre devient tellement sèche qu’il est impossible de creuser. Dernière ultime chance pour la taupe : sortir de nuit en surface chercher à manger et à boire. C’est un gros risque, la voilà à la merci de renards, hermines, martres ou chouettes hulotte.
L’hiver n’est guère plus plaisant : le gel, le manque de lombrics, la terre dure comme du ciment, alors que c’est le moment où elle aurait le plus besoin de manger....
La petite n’a que 3g de réserve de graisse, soit 1,5 jours de survie. Comment faire ? Et bien la taupe fait des réserves …. de vers de terre ! Peu avant la mauvaise saison, elle incise minutieusement avec ses dents une partie de la "tête" des lombrics (ils seront comme anesthésiés) et les placer dans une ou plusieurs cachettes. Privés de leurs centres nerveux, les lombrics se "conservent" durant des mois enfoncés dans la terre ou dans une loge spéciale.
Au moment des amours, toute la prudence de Monsieur taupe s’évanouit…. Ces messieurs creusent à tout va dans l'espoir de tomber sur le territoire d'une dame. Ils ne prennent même plus le temps de se reposer et creusent même à ciel ouvert (une aubaine pour les buses ...) Il faut faire vite : les chaleurs de ces dames ne durent que 20 à 30 heures. Et si la rencontre est trop tardive, Monsieur sera reçu à coups de crocs, de pelles et de griffes.
C’est Madame qui s’occupera de ses 4 petits dans un nid bien douillet sans sortie de secours. Dès leur naissance, les petits possèdent déjà leurs petites pelles. Maman taupe allaite, et les petits grossissent à une allure phénoménale : de 3,5g à la naissance à 60g en 3 semaines.
Jamais elle ne les abandonnera et les déplacera dans un nid de secours en cas de danger.
Au bout d'un mois, les petits commencent à s’éloigner de leur nid et suivent la mère dans les tunnels lors de ses sorties de chasse. Puis à 2 mois : elle les pousse dehors.
Les jeunes partent à la recherche de tunnels inoccupés. Seulement 3 jeunes sur 10 vont survivre la première année.
Nuisible la taupe en France ? En Allemagne, elle est protégée depuis 1986.
Grâce à son réseau de galeries creusées, elle aère, ameublit et draine le sol (tellement nécessaire en cas de fortes pluies). La taupe permet aussi un mélange de la terre participant aux transferts des éléments nutritifs d’une couche à l’autre. Les taupinières sont une terre fine, sans graines et sans cailloux, mélangée au compost, solution parfaite pour le rempotage ! Beaucoup de taupinières est le signe d’une mauvaise santé du sol obligeant la taupe à creuser davantage pour avoir sa ration de proies.
On va lui reprocher de consommer des lombrics : sachant qu’un hectare de prairie en bonne santé en contient 1 à 2 tonnes, c’est bien peu cher payé vu les services rendus.
Au fond cette petite créature est-elle vraiment si nuisible ?
Tolérons et cohabitons ???? !
Sources :
« La Hulotte » n°68-69
https://www.lpo.fr/actualites/cohabiter-avec-la-taupe-d-europe-dp5