Une histoire intimement liée à celle du Bassin Parisien
L’histoire géologique du massif des 3 forêts de l’Isle-Adam, Carnelle et Montmorency, s’inscrit dans celle plus vaste du Bassin parisien.
Pour la comprendre, faisons ensemble un grand bond dans le passé. Nous sommes à la fin de l’ère primaire, il y a 300 millions d’années. A cette époque, la terre est déjà vieille de près de 4 milliards d’années. Il n’y a qu’un seul vaste continent, appelé la Pangée. Il est entouré d’une immense étendue d’eau, appelée la Panthalassa. C’est au niveau de l’équateur et sur la côte Est de ce continent que nous retrouvons notre région où se dresse une formidable montagne, le massif hercynien, dont le massif Armoricain à l’Ouest, le massif Central au Sud et le massif des Ardennes et des Vosges à l’Est, sont les reliques. Le climat est chaud et humide. Une forêt de fougères arborescentes et de presles gigantesques s’étend sur ses contreforts. Dans cette jungle et sur les plaines côtières pullulent des insectes, des amphibiens et des reptiles parfois impressionnants. Sous l’action implacable des pluies et des vents, le massif hercynien est raboté, érodé. En quelques dizaines de millions d’années les reliefs s’estompent peu à peu et à la place de notre région s’étend une immense plateforme aride et désertique.
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Source image : Université de Laval au Canada
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Remontons maintenant le temps vers notre époque. A l’ère secondaire, au Trias, il y a 240 millions d’années, l’énorme plateforme s’affaisse imperceptiblement vers l’Est. Un golfe marin s’insinue dans notre région depuis le bassin germanique. Pendant 35 millions d’années, les sables issus de l’érosion seront étalés sur les rivages successifs alors que les argiles plus légères se déposent au large, sur les grands fonds. Le climat change. Il devient chaud et sec. L’évaporation est intense dans ce golfe peu profond. Les eaux deviennent sursalées et s’évaporent laissant au sol le sel gemme exploité maintenant en Lorraine.
La vie s’est remarquablement adaptée et diversifiée. Les premiers reptiles ont donné naissance aux premiers dinosaures, mais aussi aux reptiles marins, aux reptiles volants et même aux mammifères.
Remontons encore un peu plus vers notre époque. Nous sommes maintenant au Jurassique, il y a 200 millions d’années. Entre la Bretagne, le massif central et les Ardennes, la mer poursuit son invasion et s’approfondie de plus en plus. Les sédiments très fins de l’érosion, composés de minéraux argileux entrainés par les courants marins se déposent sur des centaines de mètres d’épaisseur dans les parties les plus profondes et les plus éloignées des côtes. Les zones moins profondes sont propices à la formation de calcaires, parfois ferrugineux comme le minerai de fer que nous trouvons maintenant en Lorraine.
A 180 millions d’années la transgression marine jurassique atteint son amplitude maximum. Au cœur de notre région, la mer de faible profondeur cède place à un paysage de lagons poissonneux entourés de barrières coralliennes calcaires. Le fond du bassin continuant de s’enfoncer, ces récifs sont de nouveau ensevelis sous de nouvelles couches d’argile. Sous l’effet de la tectonique des plaques, alors que l’atlantique Sud commence à s’ouvrir, les bordures du bassin parisien sortent peu à peu de l’eau tandis que son centre s’approfondit.
La fin du Jurassique est marquée par le recul de la mer et notre région se réduit d’abord en un golfe, puis en un lagon sursalé.
La vie y est dominée par les dinosaures. Cet état va perdurer jusqu’au Crétacé, il y a 135 millions d’années, puis la mer revient par le Sud-Est en passant par la Bourgogne et finit même par rejoindre le tout jeune océan atlantique.
Remontons encore un peu le temps. Il y a 90 millions d’années la mer envahie de nouveau le bassin, mais cette fois par le Nord-Est. Sur l’ensemble du bassin, des boues calcaires constituées de fragments d’algues planctoniques, appelées «coccolites», s’accumulent et se compactent pour former la craie, qui donnera son nom au Crétacé.
Au fur et à mesure que le bassin s’enfonce, la craie s’accumule et son épaisseur atteint jusqu’à 800 mètres. L’épaisseur des sédiments (calcaire et argile) de l’ère secondaire atteindra par endroit 3.000 mètres. Les massifs des Ardennes et de l’Armorique sont des îles bordées de vastes bandes sableuses. Le climat est très chaud et humide. Les premières plantes à fleurs comme les magnolias envahissent les continents.
Soudainement, il y a 65 millions d’années les trois quarts des espèces animales et végétales, dont les dinosaures, disparaissent brutalement. Ces disparitions aux origines encore mystérieuses marquent la fin de l’ère secondaire.
Nous voici maintenant au paléogène, à l’aube de l’ère tertiaire. La pangée s’est morcelée depuis longtemps et sur les continents à la dérive les mammifères et les oiseaux profitent de la disparition des grands reptiles. Le climat est tropical et dans la vallée de la Seine, la mer ne forme plus qu’un golfe peu profond où les eaux avancent et reculent au gré des mouvements de la tectonique des plaques. Il y a une quarantaine de millions d’années, le golfe devient périodiquement une mer, puis une lagune où se dépose le gypse. C’est le minéral qui est exploité de nos jours sous la forêt de Montmorency pour fabriquer le plâtre de Paris.
Cinq millions d’années plus tard, sous la poussée de l’Afrique, le continent européen se déchire depuis la mer du Nord jusqu’à la méditerranée. Les coteaux d’Alsace, de Bresse et de Limagne se créent et relèvent la bordure Sud-Est de notre région, qui est maintenant soumise à l’érosion. C’est là que les Vosges granitiques vont apparaître.
Il y a 23 millions d’années, le paléogène s’achève. Nous sommes maintenant aunéogène. En contrecoup du plissement alpin, les Vosges et le Massif Central où se développe maintenant une activité volcanique continuent de s’élever.
Enfin, le bassin de Paris commence à ressembler à celui que nous connaissons aujourd’hui. Sur ses bordures qui se soulèvent, les couches sédimentaires sont soumises à l’érosion. Des lignes de crête apparaissent progressivement. La mer se retire progressivement de son centre en laissant place au lac de Beauce comme en témoigne les fossiles d’eau douce que l’on y trouve. Un fleuve, la paléoloire, ancêtre de la Loire actuelle, descend de Limagne et comble la fosse de Sologne, formant ainsi un vaste golfe ouvert sur l’Atlantique.
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Extrait du guide géologique de bassin de Paris de C. Pomerol et L. Feugueur.
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Il y a 5 millions d’années, alors que le Jura se plisse et que se forment les chaînes subalpines, de faibles mouvements tectoniques affectent notre région. Des failles se créent et de grandes ondulations se forment en retenant des gisements de pétrole au centre du bassin. Les rivières sont déviées et la paléoloire rejoint alors la Seine pour se jeter dans la Manche. Ce n’est que deux millions d’années plus tard, qu’elle sera capturée au niveau d’Orléans par un fleuve qui se jettera dans l’Atlantique. Le Val de Loire prend forme.
A la fin de l’ère tertiaire, le climat se refroidit considérablement. Périodiquement des glaciers recouvrent l’Europe du Nord et s’avancent jusqu’au Sud de l’Angleterre. D’autres envahissent les reliefs comme les Vosges. Les eaux sont prises par la glace et le niveau des océans baisse de plus de 100 mètres. La Manche laisse sa place à une toundra désolée.
Encore un petit saut dans le temps vers notre époque. Nous sommes au début du quaternaire, il y a 2 millions d’années. Des crises glacières successives continuent à se manifester. Tous les 100.000 ans, des paysages glacés alternent avec des paysages de climat tempérés. Les rivières creusent, puis remblaient leurs vallées. Des vents glacés balaient les steppes désertiques et y déposent des limons. Le sol gèle sur 100 mètres d’épaisseur, puis dégèle. Pendant près de deux millions d’années, les phénomènes d’érosion par le réseau hydrographique, les glaciations et les réchauffements climatiques successifs façonnent la morphologie des paysages que nous voyons de nos jours :
- La vallée de l’Oise, au Nord-Ouest,
- Les vallées de Montmorency, de Chauvry, de Presles et de l’Ysieux, toutes orientées Nord-Ouest – Sud-Est.
- Les buttes témoins bartoniennes et stampiennes des forêts de Montmorency, de l’Isle-Adam et de Carnelle.
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Détail sur la formation des buttes témoins du massif des 3 forêts
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C’était il y a 10.000 ans, à la fin de la dernière glaciation et au tout début de l’épisode interglaciaire actuel. La fantastique évolution des hommes s’accélère. Nos ancêtres assisteront à la disparition des mammouths, victimes du réchauffement climatique, ils apprendront à faire du feu, à polir les pierres. Ils coloniseront la planète et arriveront par le Nord-Est dans notre région, il y a environ 7 mille ans.
Cependant imperceptiblement sous nos yeux et inexorablement, l’évolution de notre planète se poursuit : l’Amérique continue à s’éloigner de quelques centimètres par an, tandis que l’Afrique et l’Europe de rapprochent.
Longtemps encore, comme par le passé, notre région restera à l’écart de tout bouleversement géologique, mais maintes fois encore, elle changera d’aspect. Malgré le réchauffement climatique actuel, dans 50 à 60 mille ans le climat redeviendra très froid. Les glaces recouvriront l’Europe du Nord, tandis que le niveau des mers baissera de 100 mètres et un paysage sibérien s’étendra sur les lieux où nous vivons. Sur la surface du sol s’écriront les nouvelles pages de notre histoire, mais les couches protégées dans les profondeurs du bassin garderont pendant des dizaines, voir des centaines de millions d’années la mémoire du lointain passé que nous vivons.
La structure du sous-sol
Le sous-sol de nos trois massifs forestiers est exclusivement constitué de roches sédimentaires, soit des roches créées par l’accumulation de dépôts d’origine détritique apportés par les vents, les fleuves et surtout par les grandes étendues d’eau qui se sont succédées et qui occupaient le bassin à l’ère tertiaire.
Cette structure géomorphologique a offert un gisement important de matériaux (gypse, craie, pierre meulière, grès, marnes pour l’agriculture essentiellement) exploités par le biais de carrières à ciel ouvert ou en souterrain. Aujourd’hui pour la plupart sont désaffectées. Leur présence génère des risques d’affaissements de terrains, dus à la présence d’anciennes carrières ou du fait de la simple dissolution naturelle de ce matériau.
Les formations géologiques superficielles et plus profondes présentes sous nos pieds sont les suivantes :
- Les Alluvions anciennes et modernes sablo-graveleuses parfois argileuses dans les vallées actuelles ou très anciennes,
- Les Masses et marnes du gypse comprenant quatre masses de gypses séparées par deux assises marneuses. Le gypse est en phase de dissolution active en raison de sa faible profondeur et de son contact avec la nappe des alluvions de Saint Ouen,
- Les Sables de Monceau constitués de marnes vertes compactes et de sables fins verts (formation de 1 à 3 m d’épaisseur),
- Le Calcaire de Saint Ouen constitué par une série de marnes crème et de bancs calcaireux, où s’intercalent des feuillets argileux,
- Le Sable de Beauchamp représenté par des sables fins quartzeux, devenant plus argileux à la base et renfermant des grés parfois très durs,
- Les Marnes et caillasses avec au sommet des marnes blanches, plus ou moins argileuses, qui comprennent à la base des bancs de calcaires siliceux,
- Le Calcaire Grossier composé de calcaires gris peu fossilifères reposant sur des calcaires glauconieux,
- Les sables Yprésiens constitués d’une succession de couches argileuses et d’épisodes sableux,
- La Craie constituant une épaisse série crayeuse de plus de 400 mètres.
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Coupe stratigraphique au niveau de la route A 184 à l’Isle-Adam
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L’exploitation des ressources du sous-sol
Dans les massifs des trois forêts, l’exploitation du sable, de la craie, des marnes, des pierres de meulière et du grès pour la confection des pavés a laissé des traces visibles encore de nos jours, bien que les installations de transformation aient totalement disparues. Car dès le Haut-Moyen-âge existaient déjà à flanc de coteau de nombreuses carrières souterraines ou à ciel ouvert. Les sarcophages mérovingiens en plâtre trouvés sous le mess de la base 921 à Bessancourt, à l’extrémité de la Sente-des-Gardes à Mériel ou sous le parvis de l’église de Presles, attestent que cette industrie de transformation était pratiquée dès cette époque dans notre région. Le lac bleu et le Petit étang, dans la forêt de Carnelle étaient au siècle dernier des carrières de gypse et de marnes utilisées comme engrais par les paysans.
La pierre a été utilisée localement pour la construction des châteaux et des maisons, mais elle a été aussi exportée – par exemple, pour l’édification de l’abbatiale de Saint-Denis au XIIème siècle et plus près de nous, pour celle de l’Arc de Triomphe et de la Madeleine à Paris. Les grandes carrières souterraines très actives au XIXème siècle en lisière et sous les massifs, dans le contexte des chantiers de constructions Haussmanniens, ont été progressivement abandonnées au cours du XXème siècle.
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Carrière souterraine de Baillet-en-France
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Dès le XIVème siècle, l’argile a été utilisée à la fabrication de tuiles et de briques. L’abbaye de Notre-Dame du Val possédait sur le territoire de Montsoult, près de la garenne de l’Isle-Adam, une tuilerie comprenant la fosse«où l’on prend la terre à faire les tuiles» et une autre tuilerie à Saint-Leu-la-Forêt (vers Taverny), mentionnée en 1362.
De nos jours, seules subsistent l’extraction du gypse à Baillet-en-France et l’usine à plâtre de moulage de Mériel.
Jean-Pierre Auger